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Réseau FAR

05
Jan
2022

Maroc / Un exemple de formation agricole dans la région de Chtouka Ait Baha

Partons en compagnie de Christine et Gabrielle, étudiantes en agronomie, découvrir la Maison Familiale et Rurale de Chtouka au Maroc. Elles nous livrent le récit d’Abdellah, étudiant en première année à la MFR, qui partage son parcours, sa vision de l’agriculture locale, ses craintes et ses aspirations.

La Maison Familiale et Rurale de Chtouka

Lors de notre passage dans la zone de Chtouka Ait Baha, carrefour incontournable de l’agriculture d’exportation, nous avons eu la chance de rencontrer des professeurs et étudiants de la Maison Familiale et Rurale de Chtouka (MFR). Grâce au chaleureux accueil du directeur M. Ahmed Lamine, du formateur et directeur de l’union nationale des MFR, M. Errajy Abdlati, ainsi que de toute l’équipe, nous avons compris le rôle essentiel de la MFR dans la région, ses objectifs et les défis qu’elle doit relever.

Le centre de formation propose à des jeunes déscolarisés et généralement issus du milieu agricole de reprendre leurs études et de se former à un métier du secteur agricole. Créé en 2003, ce centre est en partie financé par des professionnels de la coopérative laitière COPAG qui sont basés dans la région.

En lien avec ces professionnels, la formation avait au départ pour objectif de proposer des formations dans le domaine de l’élevage mais suite à la demande des jeunes et pour répondre aux besoins du territoire, la MFR a proposé à partir de 2009 des formations spécialisées dans les cultures maraîchères, explique Ahmed Lamine, directeur de la MFR. En effet, la zone de Chtouka Ait Baha regroupe de nombreuses exploitations agricoles qui cultivent divers fruits et légumes pour le marché national et international. Les offres d’emploi dans ce secteur sont relativement nombreuses et cette proximité facilite l’insertion des jeunes grâce aux différents stages qu’ils doivent effectuer.

80% de leur formation est réalisée sur le terrain et les 20% restants sont théoriques et vise à mieux comprendre et approfondir ce qui a été réalisé lors des stages. Chaque année, la MFR accueille entre 100 et 120 jeunes mais elle travaille actuellement sur la construction d’un autre centre, avec l’objectif d’augmenter les effectifs accueillis et permettre l’accueil et le logement d’étudiants qui sont pour l’instant insuffisant. L’objectif est aussi d’élargir le panel des formations proposées (apiculture, élevage ovin et caprin) et posséder leurs propres zones de travaux pratiques agricoles. Le directeur M. Ahmed Lamine nous en dit plus dans le podcast suivant.

Nous avons également eu l’occasion de discuter avec un groupe de jeunes en formation. Ils nous ont partagé leur vision de l’agriculture locale et de l’agriculture européenne, leurs craintes et aspirations futures.

Interview avec Abdellah, étudiant en première année à la MFR de Chtouka

Abdellah, au centre de formation (MFR) / Photo CC-by-nc-nd par Champs au-delà des frontières.

Je suis Abdellah et je suis arrivé à la Maison familiale et Rurale (MFR) il y a 4 jours. J’ai de nombreuses années d’expérience dans le domaine agricole mais il me manque le diplôme pour chercher du travail. Plus jeune, je travaillais avec mon père et nous plantions des tomates et des poivrons.

Nous n’avons pas beaucoup (de terre), je dirais un demi-hectare et pas en une partie. Ce n’est pas comme les grandes fermes qui ont au moins un hectare d’un seul tenant. C’est compliqué pour nous, il faut toujours changer de place les outils. [..] Avant, mon père faisait pousser du trèfle pour les animaux mais financièrement, ça n’était pas tenable. Les revenus n’atteignaient nos besoins familiaux, un frère voulait étudier, un autre se marier, un autre un vélo ou une moto. Les animaux auraient suffi pour lui mais pas pour ses enfants, nous devions aller de l’avant. L’agriculture est un bon domaine de travail, même si de nos jours il y a de plus en plus de maladies mais il y a aussi des façons de les traiter, et nous avons juste besoin de l’outil adapté. [..] Avant nous cultivions les plantes naturellement, mais maintenant nous devons utiliser les produits chimiques, nous devons traiter les plantes. La zone est polluée et il y a des changements significatifs dans le climat. Il ne pleut pas comme avant. La pluie a un rôle important, sans elle, il y a la sécheresse, les maladies et le niveau de la nappe descend. Tout est compliqué, maintenant plus rien ne pousse sans les produits chimiques. Ça a vraiment changé mes activités quotidiennes parce que je n’ai plus de temps libre. Je dois traiter la terre, la nourrir, c’est comme avoir un jeune enfant, tu n’as pas vraiment de temps pour toi-même.

Champs de luzerne entourés de nombreuses serres agricoles, périphérie de Belfaa / Photo CC-by-nc-nd par Champs au-delà des frontières

Mes parents ne voulaient pas que je continue dans l’agriculture, ils pensaient que c’était une perte de temps, parce que ce n’était pas très rentable pour eux, donc il pense que je vais finir comme eux. Mais ils font de l’agriculture de manière traditionnelle, donc c’est différent. Ils m’ont demandé de poursuivre mes études dans le secteur touristique, mais avec la crise du Covid, ils ont changé d’avis et pensent que l’agriculture peut permettre un bon avenir. [..] L’agriculture est le domaine où je me sens le mieux. Je veux trouver une approche plus moderne à l’agriculture à cause des maladies qui sont présentes sur les plantes, c’est pourquoi je veux faire cette formation. […] Si tu me montres une plante malade, je saurai reconnaitre la maladie et donc comment il pourrait être possible de la traiter mais je ne saurai pas capable de dire le nom ni les caractéristiques exactes. C’est comme si tu voyais un serpent, tu seras capable de le tuer mais tu ne sauras pas pourquoi il est ici, ni d’où il vient.

Le permis pour creuser un puits est très compliqué à obtenir maintenant, parce que plus il y a de puits, plus le niveau de la nappe est bas. Il n’y a pas de soutien d’associations, il y a seulement les entreprises. Si tu travailles dans une coopérative et que tu leur fournis du lait ou autre, elle te soutient en cas de problème. Mais moi, en tant que petit entrepreneur, je ne reçois pas d’assistance, je devrais chercher une institution ou une personne qui devra me fournir l’aide dont j’ai besoin. Ce qui signifie remplir différents dossiers, réaliser différentes procédures et la plupart du temps, ça ne marche pas ou je devrais aussi prendre un prêt à la banque. Le seul problème est qu’aujourd’hui l’agriculture est un domaine compliqué avec les différentes maladies. Si ça ne paye pas, tu ne rembourses pas ton prêt et tu peux finir en prison. Il n’y a pas de protection pour les agriculteurs. Il n’y a pas d’assurance, si tu tombes dans ta ferme, l’ambulance peut mettre énormément de temps à te trouver, je parle pour les petites fermes. Les grandes exploitations ont évidemment des kits de premiers secours.

Champs entre des habitations à la périphérie de la ville de Belfaa / Photo CC-by-nc-nd par Champs au-delà des frontières

Mon père a travaillé sans soutien ni assistance, achetant et vendant de la terre, et en la travaillant pour essayer de nourrir sa famille mais maintenant les choses deviennent vraiment chères. Il y a un produit, dont je ne dirai pas le nom, a triplé de prix en deux semaines. En tant que petit paysan, je ne peux pas me permettre de l’acheter, cela signifie que la qualité de mes produits va diminuer, et ce qui signifie qu’il n’y a plus de place pour les petits agriculteurs aujourd’hui dans le domaine agricole. Les produits deviennent de plus en plus chers et les petits agriculteurs deviennent de plus en plus pauvres. Il y a tout un pan d’agriculteurs qui est danger d’extinction.

J’ai des amis qui sont partis et ils vivent bien mais ils sont sans papiers, ils sont toujours menacés, et peut-être qu’un jour ils reviendront et ils se retrouveront à ma place actuelle. J’en connais qui sont partis juste comme ça, sur les bateaux par la mer. Ce qui est très risqué et que je ne recommande à personne. Je préfère avoir une vie simple ici plutôt que de risquer ma vie pour l’espoir d’avoir une meilleure vie de l’autre côté. Ma vie vaut mieux que ça. C’est la même chose que fumer ou d’autres choses, je risque ma vie dans cet acte. J’ai un ami qui émigré illégalement en Europe. Sans dire trop de détail, il a fini par dormir dans la forêt dans le froid et maintenant il a un problème à la jambe qui l’a obligé à faire de la chirurgie. Il est parti pour chercher du travail et il a fini blessé. Il dormait la journée et marchait la nuit, et c’est à cause du froid que quelque chose est arrivé à sa jambe. Il allait en Italie ou Grèce, mais maintenant il est de retour à la maison. Il travaille dans l’agriculture, il plante des courgettes. Je lui ai rendu visite. Il m’a dit qu’il ne voulait pas risquer sa vie une deuxième fois.

Si j’ai une opportunité pour travailler à l’étranger, je partirai. Tout est devenu si cher. Tu as besoin d’un soutien financier. Si tu commences une saison agricole, tu vas uniquement avoir 3, 4 ou 5 mois de travail continue. Je travaille personnellement 6 mois et le reste de l’année je n’ai rien à faire, donc ça ne marche pas toujours. Tout ce que tu as gagné pendant 6 mois, tu le dépenses le reste de l’année. Quand tu dois commencer l’année suivante à cultiver tu as besoin d’argent, donc tu finis par emprunter à tes amis que tu devras rembourser à la fin de la saison agricole et tu espéreras avoir encore quelque chose pour les 6 mois à venir. L’agriculture est aussi dangereuse que la migration illégale sur un bateau au milieu de l’océan. C’est un risque dans les deux cas, et c’est pour cela que j’ai commencé à réfléchir pour bouger si j’en ai l’occasion. J’ai parlé avec différentes personnes qui ont des façons de penser différemment et après cela, je pense que c’est le meilleur mouvement à faire.

Pour améliorer les choses ici, il y a tellement de choses à mentionner, comme l’éducation ou les services de santé, mais je vais limiter ma réponse au secteur agricole. Les petits agriculteurs n’ont pas de soutien, personne ne fait de rapport ou ne demandent quels sont leurs besoins. Il faut créer des associations qui puissent parler en leur nom et demandent que leurs problèmes soient résolus. Ne me parle pas de supervision, pas avant qu’il ne nous ait aidé en premier, tant que nous n’aurons pas vu les progrès. En tant qu’agriculteur qui peut employer 3 ou 4 employés pour 3 mois au plus, tu dois pouvoir attendre de moi que je légalise leur situation avec toutes les dépenses qui vont avec, mais comment tu veux que le fasse alors que je ne suis même pas moi-même assuré.

Si tu n’as pas les moyens de te lancer dans l’agriculture et que tu as la chance de travailler dans un autre domaine, tu devrais saisir cette occasion. Ne t’arrête pas, tu dois juste continuer à aller de l’avant.

La migration est une des solutions pour les jeunes mais cela ne devrait pas être la seule.

Propos recueillis par Christine et Gabrielle, dans le cadre de leur projet “Les champs au-delà des frontières !”

“Les champs au-delà des frontières!” est un projet de réalisation d’un film documentaire durant un an sur les routes de France, du Maroc et de la Cote d’Ivoire pour explorer les liens entre les agricultures et les migrations humaines.

Vous pouvez contribuer à ce projet grâce à la cagnotte HelloAsso
Et suivre leurs péripéties sur Facebook et Instagram

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