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Réseau FAR

06
Juin
2025

[Paroles d’acteur] Niger / Intégrer le genre dans les pratiques agroécologiques

Dans le cadre d’une démarche de transformation sociale et environnementale, la Coopérative FASAM Terre Verte, une initiative nigérienne engagée dans la promotion de l’agroécologie paysanne et la souveraineté alimentaire, a conduit, avec l’appui du CCFD-Terre Solidaire, un diagnostic socio-agroécologique dans la région de Tillabéry, à Sekoukou et Tioudawa. Ce diagnostic met en lumière la division sexuée du travail agricole, les inégalités d’accès aux ressources, et les leviers d’action pour une plus grande équité dans la gestion des exploitations familiales.

Dans quel contexte se développe cette expérience ?

La Coopérative FASAM Terre Verte est un acteur  du développement agricole au Niger, spécialisée dans le conseil agro-technique, la production locale d’intrants agricoles et le renforcement des capacités des petits producteurs. Elle s’emploie à promouvoir une agriculture durable et respectueuse de l’environnement, en favorisant la participation active des communautés rurales. À travers ses interventions, la coopérative cherche à renforcer l’autonomie des zones rurales, tant dans l’accès aux intrants que dans la réalisation des travaux agricoles, en synergie avec les partenaires techniques et financiers du pays.

Au cours des deux dernières années, FASAM Terre Verte a mis en œuvre deux projets phares à forte portée sociale, axés sur l’autonomisation des femmes rurales à travers l’agroécologie :

  • Le projet « Mouvement de Femmes Semencières », réalisé à Falwel avec le soutien du programme PISCCA de l’Ambassade de France, a permis de former 144 femmes à l’autoproduction de semences maraîchères locales, tout en les initiant aux pratiques agroécologiques ;

  • Le projet de jardin vivrier de Kouré, appuyé par la Ville de Coulaines, a conduit à l’aménagement et à la mise en culture d’un hectare de terres agricoles, exploité par deux groupements féminins accompagnés dans leur formation à l’agroécologie.

 

La mise en œuvre de ces projets a mis en évidence plusieurs défis majeurs pour les femmes, notamment une charge de travail accrue difficile à concilier avec leurs responsabilités domestiques, la pénibilité physique de certaines pratiques agroécologiques, ainsi qu’un accès limité aux ressources foncières, aux conseils agricoles et au soutien masculin. Ces constats ont confirmé la nécessité d’intégrer systématiquement une approche genre dans les projets agroécologiques, afin de favoriser une répartition plus équitable des tâches, d’améliorer les conditions de travail des femmes et de contribuer durablement à la sécurité alimentaire des ménages.

Un projet pilote de diagnostic communautaire socio-agroécologique pour mieux comprendre la division du travail agricole en fonction du genre

Dans cette optique, la Coopérative FASAM, avec l’appui financier du CCFD-Terre Solidaire et le soutien méthodologique du cabinet GREEF, a lancé un projet pilote de diagnostic communautaire dans les villages de Tioudawa (commune de Kouré) et Sekoukou (commune de Kollo), situés dans la région de Tillabéry. Cette initiative vise à analyser en profondeur la division du travail agricole selon le genre, dans le but d’en corriger les déséquilibres structurels et d’améliorer l’équité au sein des systèmes de production. Le diagnostic explore la répartition sexuée des tâches agricoles, les facteurs socio-culturels qui la conditionnent, ainsi que les perceptions des populations locales sur ces dynamiques.

Dès son démarrage effectif au 1er novembre 2024, le projet a ciblé deux terroirs villageois, Sékoukou et Tioudawa, dans lesquels les activités maraîchères, bien qu’essentielles à la sécurité alimentaire et aux revenus des ménages, demeurent majoritairement féminines, avec une faible implication masculine.

Objectifs du projet :

  • réaliser un diagnostic socio-agroécologique participatif permettant de mieux comprendre la division du travail agricole en fonction du genre dans le Département de Kollo ;
  • identifier les contraintes, perceptions et opportunités liées à la participation des femmes dans les filières agroécologiques et ;
  • élaborer des recommandations pour un plan d’action favorisant l’intégration effective du genre dans les pratiques agricoles locales.

Pour accompagner cette démarche, un appel d’offres a été lancé afin d’identifier un cabinet d’expertise en genre. Le cabinet GREEF a été retenu pour co-construire le processus de diagnostic communautaire et élaborer un Plan d’Action Genre adapté aux réalités locales. Le 28 janvier 2025, GREEF a organisé un atelier d’orientation à destination des membres de la Coopérative FASAM et de la Plateforme agroécologique Raya Karkara. Cet atelier a permis d’outiller les participants sur les outils Genre et la méthodologie du diagnostic, notamment à travers une analyse SWOT/FFOM. L’approche participative adoptée a été saluée par l’ensemble des partenaires présents, mettant en lumière le lien étroit entre justice sociale, adoption durable des pratiques agroécologiques, et égalité femmes-hommes.

Les groupes de travail ont été constitués de manière participative et représentative, en intégrant divers profils issus des communautés locales (agriculteurs, agricultrices, leaders communautaires, jeunes, etc.). À travers des discussions dirigées, des séances de remue-méninges et l’utilisation d’outils d’analyse sensibles au genre tels que la cartographie des tâches et les calendriers agricoles différenciés selon le genre, l’horloge des activités. Les participants ont partagé leurs expériences, pratiques et perceptions.

Quelles ont été les principales activités menées ?

Le projet a d’abord procédé à l’identification participative des villages cibles et à la mobilisation active des communautés locales, avec une attention particulière portée à l’inclusion des femmes et des jeunes. Deux sites maraîchers ont été équipés de manière adéquate : outils agricoles, arrosoirs, semences paysannes, produits organiques. Parallèlement, des travaux d’installation et de réhabilitation des systèmes d’irrigation ont permis de garantir un accès régulier à l’eau pour la production, en particulier durant les périodes critiques.

Les membres des groupements bénéficiaires ont été formés sur des techniques de maraîchage agroécologique : compostage, gestion intégrée de la fertilité des sols, rotations et associations culturales, ainsi que sur l’économie de l’eau. Ces compétences ont rapidement été mises en pratique à travers la production de cultures maraîchères diversifiées telles que la laitue, la tomate, l’aubergine et le poivron.

Au-delà de l’appui matériel et technique, le projet s’est investi dans une analyse approfondie des dynamiques sociales et de genre dans l’agriculture locale. Des enquêtes participatives, des discussions de groupes et des entretiens ciblés ont été organisés avec les hommes, les femmes et les jeunes. Ces études ont permis de cerner les perceptions, les pratiques, les aspirations, mais aussi les blocages liés au genre dans la répartition des tâches agricoles, l’accès aux ressources et les décisions économiques.

Quels sont les résultats majeurs et enseignements clés ?

Les données recueillies ont mis en lumière une division genrée du travail bien marquée. Les femmes s’occupent généralement des tâches liées au semis, à la récolte et à la transformation, tandis que les hommes interviennent essentiellement dans le labour. Il est apparu que les femmes travaillent plus longtemps et plus intensément, tout en ayant un contrôle direct et organisationnel sur les exploitations maraîchères, qu’elles considèrent comme leur espace propre d’autonomie.

L’analyse des pratiques locales a montré que ce sont les femmes elles-mêmes qui décident de la répartition des tâches selon leurs intérêts et leurs charges, affirmant ainsi leur rôle de pilier dans les activités maraîchères. Toutefois, leur pleine participation reste limitée par des obstacles structurels : accès restreint au foncier, manque de formation économique, et faible présence dans les circuits de transformation et de commercialisation.

Le rapport de diagnostic produit à l’issue de cette phase d’analyse a été validé lors d’un atelier multi-acteurs à Niamey, réunissant des représentants institutionnels, des ONG, des universitaires, des organisations de la société civile et des membres des communautés rurales. Les recommandations issues de ces échanges ont été largement partagées et ont suscité un engagement fort des partenaires à accompagner la mise en œuvre d’actions concrètes.

Télécharger le diagnostic complet

Quels sont les défis rencontrés ?

Malgré les avancées significatives, plusieurs défis subsistent :

  • Le temps imparti aux actions de terrain post-diagnostic a été trop court pour permettre un ancrage durable des recommandations ;
  • Les jeunes ont été peu considérés comme des acteurs économiques autonomes, leur rôle ayant souvent été cantonné à de la main-d’œuvre ;
  • Le projet a identifié un besoin crucial d’analyser l’économie des ménages, afin de mieux comprendre les dynamiques internes de répartition des revenus ;
  • L’absence d’un mécanisme structuré de suivi et d’évaluation limite pour l’instant la capitalisation des impacts.

Quels sont les perspectives et recommandations pour l’avenir ?

Les conclusions du projet ouvrent la voie à des perspectives structurantes. Il apparaît nécessaire de consolider les acquis en développant :

  • Un plan d’action localisé dans les villages cibles, intégrant pleinement les enjeux de genre dans la pratique agroécologique quotidienne.
  • Des stratégies de sécurisation foncière collective pour les femmes, à capitaliser à partir d’initiatives locales existantes.
  • La création d’unités de transformation agroalimentaire pilotées par les groupements féminins, avec un accompagnement technique et économique.
  • Des formations en gestion économique et en entrepreneuriat rural, pour favoriser l’autonomie financière des femmes.
  • Un observatoire genre-agroécologie, en lien avec les universités et les acteurs de la recherche-action, pour suivre les évolutions et documenter les changements.
  • Le renforcement des sites existants à travers des innovations technologiques adaptées pour réduire la pénibilité du travail féminin tout en améliorant les rendements.
  • L’exploration de dispositifs maraîchers adaptés pour les hommes, afin d’assurer une complémentarité productive et une élévation globale des revenus familiaux.
  • Une analyse plus élargie et inclusive du genre dans les communautés rurales, prenant en compte les rôles reproductifs, productifs et communautaires, les rapports de pouvoir et les jeux d’influence, en s’inspirant du cadre de Harvard.

Le projet s’est déroulé dans un contexte national marqué par une volonté politique affirmée d’intégrer la dimension genre dans les politiques agricoles, et par une mobilisation croissante des acteurs de terrain en faveur de pratiques agroécologiques plus inclusives. À travers les activités menées, il a permis d’ouvrir un espace de dialogue entre les femmes, les hommes et les jeunes autour de la place et des rôles de chacun dans la production maraîchère.

Au-delà des seuls gestes techniques ou des dotations en matériel, le projet a contribué à révéler et valoriser les savoir-faire féminins dans les pratiques agroécologiques, à rendre visibles les inégalités persistantes – notamment en matière d’accès au foncier, aux formations et aux ressources – et à nourrir une réflexion collective sur la manière d’y répondre.

Il s’est aussi distingué par l’approche participative qui a guidé les diagnostics, les formations et les restitutions, posant ainsi les bases d’un engagement durable des communautés pour le changement. En permettant une meilleure compréhension des dynamiques sociales liées au genre dans l’agriculture, le projet a préparé le terrain pour des interventions futures plus structurantes, mieux ancrées dans les réalités locales, et davantage porteuses d’égalité.

Ce bilan appelle à aller plus loin : renforcer les acquis, structurer le suivi des recommandations formulées, et créer les conditions pour que les femmes rurales puissent pleinement exercer leur rôle de piliers de la transition agroécologique. La Coopérative FASAM Terre Verte réaffirme à cet égard sa volonté de poursuivre et d’amplifier cette dynamique au service d’un développement rural plus juste, plus équitable et plus durable.

Boubacar Djibo
FASAM Terre Verte
fasam.niger@gmail.com
www.fasamniger.com

 

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